dimanche 30 mars 2014

Libellules et réchauffement climatique

Gatineau s'est réchauffée. Elle se réchauffera encore davantage au cours des prochaines décennies selon toutes les prévisions climatiques. Le réchauffement a eu et aura de profondes conséquences sur la biodiversité.  Dominique Berteaux et ses collaborateurs ont publié cet hiver un livre extraordinaire sur le sujet:



Il n'est pas question de libellules dans ce livre, ni d'aucun autre invertébré puisque nous ne disposons pas de jeux de données suffisants au Québec pour modéliser leur distribution en fonction des changements climatiques.

En Europe, par contre on dispose de beaucoup plus de données sur les libellules. Elles y ont donc été très utilisées tant qu'organisme-modèle pour mesurer et modéliser les impacts des changements climatiques. La majorité d'entre elles semble se tirer assez bien d'affaire. Pourquoi? Les 2 facteurs suivants résument le fruit de mes lectures:

1) Les libellules aiment la chaleur et
2) Elles ont un bon pouvoir de dispersion.

Je réfère les lecteurs intéressés à l'article de synthèse de Hassal et Thompson (2008).

Je fais ici un petit tour de la littérature afin d'explorer des questions que je me suis posées lors de ma dernière saison d'inventaire. Toutes les références sont à la fin.

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Quel est l'impact du réchauffement climatique sur l'aire de répartition des libellules?


    En Grande-Bretagne: le shift des distributions vers le pôle est en moyenne de 74 km entre 1960 et 1995, ou un shift annuel de 2.1 km (Hickling et al, 2005). Ceci est proche de la limite supérieure de capacité de dispersion par les Zygoptères les mieux étudiés (Hassal et Thompson, 2008). 
    En Scandinavie, le taux d'expansion vers le pôle est encore plus rapide pour certaines espèces au courant de la dernière décennie: 88 km par an pour Anax imperator, 29 km par an pour Aeshna mixta, 15 km par an pour Sympecma fusca, une petite demoiselle (références dans Flenner et Sahlen, 2008).
    En Ontario, une équipe a tenté d'évaluer le taux d'expansion, mais n'y est pas parvenu a cause de l'insuffisance des données disponibles (Beatty et al. 2010).
    Au Québec, je ne pense pas que nous disposions de plus d'information qu'en Ontario. Nous avons particulièrement peu de données provenant du nord du Québec (Savard, 2011), ce qui selon moi exclue pour l'instant la possibilité d'un exercice de modélisation tel que ceux cités plus haut.

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Quel est l'impact du réchauffement climatique sur la phénologie (date d'émergence, date d'arrivée des premiers migrateurs)?


Au Québec, le réchauffement climatique se traduit surtout par des printemps de plus en plus hâtifs. Un avancement dans la phénologie printanière a été observé au Québec pour plusieurs espèces parmi les plantes, les oiseaux et les amphibiens (Berteaux et al. 2014). À ma connaissance, un tel avancement n'a pas été démontré pour les libellules du Québec ni du reste de l'Amérique, probablement faute de données échelonnées sur de longues périodes.

En Europe par contre, la disponibilité des données a rendu possible quelques études:

Une équipe a démontré, en Grande-Bretagne, un avancement de la phénologie printanière de l'ordre de 1,5 jour/décennie pour les libellules printanières, ou 3,08 jour par degré d'augmentation de température, entre 1960 et nos jours (Hassall et al. 2007).

Une équipe aux Pays-Bas a démontré qu'il y avait un avancement de la phénologie printanière chez les odonates néerlandais (37 espèces). Cet effet était même mesurable sur une période couvrant les 10 dernières années seulement (Dingemanse et Kalman, 2008).
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Le réchauffement pourrait-il causer l'extinction de certaines espèces de libellules?


Au niveau des Odonates, il semblerait qu'à l'échelle planétaire, environ 10% des odonates soient menacés d'extinction. Cette proportion est parmi les plus faibles dans les groupes taxonomiques étudiés jusqu'à présent (Clausnitzer et al., 2009).

Certaines espèces pourraient disparaître si leur niche écologique disparait. Les libellules de distribution arctique, subartique ou boréale pourraient voir leur aire de distribution rétrécir, voire disparaître. Au Québec, si j'en crois les cartes de distribution publiées par Paulson (2011), nous aurions au moins une espèce de libellule à distribution arctique (l'Aeschne septentrionale, Aeshna septentrionalis), environ 5 espèces à distribution subarctique et une quinzaine d'espèces à distribution boréale. Ces libellules représentent environ 15% de l'odonatofaune québecoise actuelle.

Actuellement, les odonates trouvent des habitats appropriés plus au nord, dans les limites de leur pouvoir de dispersion et se montrent donc résistantes à l'extinction. Le plus grand problème qu'elles pourraient rencontrer est celui de la fragmentation des habitats, qui rend les habitats inutilisables et impropres aux mouvements de population (Hassal et Thompson, 2008).

De manière générale, les espèces les plus vulnérables à l'extinction sont celles:
    qui dépendent d'un habitat ou d'une source d'alimentation très spécifique 
    dont l'écosystème est isolé
    qui ont une faible capacité de dispersion,
    qui sont sensibles à une hydropériode particulière et 
    qui sont déjà vulnérables (maladie, pollution, etc) (Peres-Neto et al. 2013).

Chez les libellules, les espèces qui me semblent correspondre le mieux à ces critères de vulnérabilité sont celles trouvées dans les tourbières, les étangs vernaux ou les rivières. 

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Le réchauffement pourrait-il favoriser l'arrivée de nouvelles espèces au Québec et particulièrement en Outaouais?


Dans notre région, la grande majorité des libellules ont une distribution "périphérique nord", c'est-à-dire que leur aire de répartition est centrée au États-Unis et ne fait que frôler le sud du Québec en sa frange nord. Ces espèces, ainsi que toutes celles qui ne pénètrent pas encore au Québec, mais tout juste, pourraient être favorisées par le réchauffement climatique (Berteaux et al. 2014).

Depuis quelques années, on assiste à l'entrée au sud du Québec d'espèces de libellules à distribution périphérique nord qui n'y avaient jamais été rapportées. [OK, c'est possible qu'elles y étaient déjà avant et qu'elles n'aient pas été rapportées plus tôt faute d'un effort d'inventaire suffisant, voir le commentaire d'Alain Mochon au sujet de la Courtisane d'Amérique et de l'Aeschne des nénuphars à la fin du texte!] Par exemple:

  L'Agrion à longs cerques (Enallagma anna), à St-Lazare en Montérégie (M. Dennis, 2012 sur son blogue quebecodes.wordpress.com)
  La Courtisane d'Amérique (Hetaerina americana), au parc national de la Yamaska en Montérégie (Mochon, 2011)
  La Pachydiplax (Pachydiplax longipennis) à Saint-Joachim-de-Shefford, en Montérégie (Mochon, 2012)
    La Périthème délicate (Perithemis tenera) à Granby en Montérégie (Bernard, 2010)
  L'Aeshne des nénuphars (Rhionaeshna mutata) au parc national du Mont-St-Bruno en Montérégie (Mochon, 2013)

Utilisant les distributions spatiales de Paulson (2011), on compte au moins 25 espèces de libellules dont la limite nord de répartition se situe au sud de l'Ontario. Ces espèces pourraient fort bien se retrouver en Outaouais d'ici quelques décennies.



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L'arrivée de nouvelles espèces a-t-elle un impact sur les communautés locales d'odonates?


Le réchauffement a des effets directs et indirects sur les espèces et les communautés. Comme l'écologie des invertébrés est très peu connue, il est difficile de prévoir les conséquences. Quelques études se sont intéressées à cette question complexe, dont celles-ci, toutes faites en Europe, que j'ai trouvées particulièrement intéressantes:

Une équipe Suisse a modélisé les effets potentiels du réchauffement climatique sur des écosystèmes aquatiques complexes en utilisant, comme modèle, 5 groupes taxonomiques, dont les odonates, dans 113 étangs-test. Elle anticipe que le réchauffement climatique entraînera une augmentation de la biodiversité dans les étangs de régions tempérées, particulièrement en montagne (Rosset, Lehmann et Oertli, 2010), ce qui rejoint l'analyse de Berteaux et al (2014) pour le Québec. La même équipe a identifié, en utilisant leurs préférences thermiques, les espèces potentiellement avantagées et celles qui risquent de disparaître dans une situation de réchauffement climatique. Chez les Odonates, environ 33% des espèces faisaient partie des "perdantes" et 63%, des "gagnantes" (Rosset et Oertli, 2011).

Une équipe britannique a étudié, en aquarium, les interactions entre une libellule boréale et autre d'origine africaine en expansion vers le nord. En situation de réchauffement, la libellule africaine se développait 3,5x plus rapidement que la libellule boréale! En milieu naturel, les auteurs émettent l'hypothèse que l'arrivée d'espèces "expansionnistes" pourrait contribuer au déclin des espèces boréales. Cet effet s'ajoute à l'urbanisation et à la perte d'habitat, ce qui rend les études en milieu naturel complexes (Suhling et Suhling, 2013).

Une équipe s'est penchée sur les écosystèmes de 34 lacs du nord de la Suède, en zone boréale, inventoriés en 1996, puis en 2006. Ils ont utilisé les libellules comme organisme modèle. Ils ont observé de profonds changements. Certaines espèces, rares auparavant, y ont augmenté alors que d'autres auparavant répandues s'y sont raréfiées. Bien que le nombre total d'espèces soit demeuré le même dans les lacs étudiés, la diversité régionale y a perdu (Flenner et Sahlen, 2008).


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Avons-nous fait des observations, à Gatineau, qui pourraient s'interpréter en termes de changements climatiques?


Nous ne disposons pas d'un gros jeu de données. Nous savons que l'environnement de Gatineau a subi de très nombreux changements en plus des changements climatiques. Amusons-nous tout de même à observer nos données actuelles en terme de climat:

En 2012, nous avons enregistré la présence de 4 nouvelles espèces à Gatineau, toutes (100%) étant des espèces de distribution périphérique nord notoirement en expansion vers le pôle.

Actuellement, la liste des espèces de libellules trouvées à Gatineau compte 25 espèces, sur un total d'environ 100, que nous n'avons pas revues depuis le début du siècle passé. Parmi ces 25 espèces non-confirmées, on compte 11 espèces à distribution boréale (44%). En comparaison, on ne compte qu'une espèce à distribution boréale parmi les 75 espèces confirmées à Gatineau (1,3%). Ça ne prouve rien, mais ça fait réfléchir...

Une autre observation d'intérêt que nous avons faite ici, à Gatineau, est celle d'une population locale hivernante d'Anax précoce (Anax junius). Il s'agit d'une première mention pour le Québec et de la mention la plus nordique rapportée pour cette espèce jusqu'à présent (revue dans Savard, 2014 et May, 2013). Savard (2014) estime que l'hivernage d'Anax au sud du Québec est actuellement rare et augmentera avec le réchauffement; il sera intéressant de vérifier cette hypothèse.



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J'ai hâte au printemps…je sens que de belles découvertes nous attendent en dessous de la glace…





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Références


Beatty, C.D., S. Fraser, F. Perez-Jvostov et T.N. Sherratt, 2010. Dragonfly and Damselfly (Insecta, Odonata) distributions in Ontario, Canada: Investigating the influence of climate change. BioRisk 5: 225-241.

Bernard, R.S. 2010.  Découverte de Perithemis tenera (Say, 1839) (Odonata : Libellulidae), une nouvelle libellule pour le Québec.  Le naturaliste Canadien 134(1) : 23-24. 

Berteaux D., Casajus N., de Blois S. 2014. Changements climatiques et biodiversité du Québec : vers un nouveau patrimoine naturel. Presses de l'Université du Québec, Québec, Canada. 202 pages.

Clausnitzer, V. et al., 2009. Odonata enter the biodiversity crisis debate: the first global assessment of an insect group. Biological Conservation Vol 142 (8). pages 1864-1869.

Flenner, I. et G. Sahlen, 2008. Dragonfly community reorganisation in boreal forest lakes: rapid species turnover driven by climate change? Insect Conservation and Diversity 1(3): 169-179.

Hassal, C. et C. Thompson, 2008. The effects of environmental warming on Odonata: a review. International Journal of Odonatology 11 (2): 131-153.

Hickling, R., D.B. Roy, J.K. Hill et C.D. Thomas, 2005. A northward shift of range margins in British Odonata. Global Change Biology 11:502-506.

Suhling, I et F. Suhling, 2013. Thermal adaptation affects interactions between a range expanding and a native odonate species. Freshwater Biology 58, p. 705–714.

May M.L., 2013. A critical overview of progress in studies of migration of dragonflies (Odonata : Anisoptera), with emphasis on North America. Journal of Insect Conservation, 17 : 1-15.

Mochon, A. 2011. Découverte de la courtisane d'Amérique (Hetaerina americana), odonate, au Québec. Le Naturaliste canadien 135 no2, p.34-37.

Mochon, A., 2012. Découverte de la libellule pachydiplax au Québec durant l’inventaire de l’odonatofaune du ruisseau Castagne en Montérégie. Le Naturaliste canadien, Volume 136, numéro 3, été 2012, p. 49-59

Mochon, A. 2013. Découverte de l'Aeschne des nénuphars au lac des Atocas: une première au Québec. Bulletin de conservation 2012-2013, Parc Québec.

Paulson, D. 2011. Dragonflies and damselflies of the east. Princeton University Press. 538 pages.

Peres-Neto P., Bolduc F., Lee W.-S., Pandit S., Samson J., Simard A., 2013. Développement  d’un cadre méthodologique et d’échantillonnage pour le suivi de la biodiversité en fonction des changements climatiques. Rapport Ouranos. 

Rosset, V. et B. Oertli, 2011. Freshwater biodiversity under climate warming pressure: Identifying the winners and losers in temperate standing waterbodies. Biological Conservation,Volume 144, Issue 9, Pages 2311–2319.

Rosset, V., A. Lehmann et B. Oertli, 2010. Predicting the impact of climate warming on species richness in small temperate waterbodies. Global Change Biology
Volume 16, Issue 8, pages 2376–2387.

Savard, M., 2014. L’anax précoce au Québec : une libellule migratrice. Le Naturaliste canadien, 138(1): 20-31.

Savard, M., 2011. Atlas préliminaire des libellules du Québec (Odonata). Initiative pour un atlas des libellules du Québec avec le soutien d'Entomofaune du Québec (EQ), Saguenay, Québec. 53 pages.

lundi 10 mars 2014

Réchauffement climatique?

L'hiver s'éternise et on en vient à se demander: y a-t-il vraiment un réchauffement climatique par ici???

J'ai pris les données de température mesurées par Environnement Canada dans les 2 stations météorologiques les plus proches de Gatineau, à partir de 1960 jusqu'à nos jours. 

J'ai mis les températures annuelles moyennes dans un graphique. Je suis loin d'être climatologue, mais ça me semble clair qu'il y a bel et bien un réchauffement:



Températures annuelles moyennes à la station météo de Chelsea (45,52; -75,78), tout juste au nord de Gatineau. Source: Environnement Canada (www.ec.gc.ca/dccha-ahccd)  

















Températures annuelles moyennes à la station météo d'Ottawa (45,38; -75,7), tout juste au sud de Gatineau. Source: Environnement Canada (www.ec.gc.ca/dccha-ahccd)  




Le réchauffement semble de l'ordre de 1,7°C entre 1961 et 2012 (0,33°C par décennie) pour la station d'Ottawa et de 1,4°C (0,27°C par décennie) pour la station de Chelsea.  

Ce réchauffement semble plus rapide que celui rapporté pour notre écorégion pendant la même période, soit 0,16°C par décennie (Berteaux et al. 2014). Il semblerait donc que non seulement Gatineau se réchauffe, mais qu'elle se réchauffe vite!

J'ai lu une étude intéressante qui attribuait le réchauffement accéléré dans la ville d'Ottawa à l'urbanisation et à l'effet d'îlot de chaleur urbain. Les auteurs estiment qu'un accroissement de population de 250 000-500 000 habitants se traduit par une augmentation de température d'environ 1°C (Prokoph et Patterson, 2004).

Bon ben, ramassez vos cabane de pêche! La débâcle ne tardera peut-être pas...


Le 9 mars 2014, sur la rivière des Outaouais. 

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Sources citées:


Berteaux D., Casajus N., de Blois S. 2014. Changements climatiques et biodiversité du Québec : vers un nouveau patrimoine naturel. Presses de l'Université du Québec, Québec, Canada. 202 pages.

Prokoph, A et R.T. Patterson, 2004. Application of Wavelet and Regression Analysis in Assessing Temporal and Geographic Climate Variability: Eastern Ontario, Canada as a Case Study. Atmosphere-Ocean 42: 201-212.

Les données climatiques canadiennes sont disponible sur le site web d'Environnement Canada (www.ec.gc.ca/dccha-ahccd).
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Mon prochain billet portera sur les conséquences du réchauffement sur les libellules. 

mardi 11 février 2014

Est-ce qu'il y en a beaucoup?

Un lecteur m'a demandé s'il y en avait beaucoup, de ces exuvies de libellules (à propos desquelles je radote depuis un bon bout de temps).

Pour ma part, je n'ai pas fait de collecte d'exuvie suffisamment systématique pour savoir combien il y en avait au juste. D'autres l'ont fait; par exemple:

1)  Le long du fleuve St-Laurent à l'anse au Moulin Banal, Saint-Augustin-de-Desmaures, Québec. Une équipe a fait la cueillette journalière d'exuvies sur une période de 3 ans. Ils ont obtenus une moyenne de 2710 exuvies de Gomphides annuellement sur une distance de 450m de berge.
(Perron, J.-M. et Y. Ruel, 2002. Étude de l'émergence de quelques espèces de Gomphides (Odonata: Gomphidae) à l'anse du Moulin Banal, Saint-Augustin-de-Desmaures, Québec. Fabreries 27(2), p.87-100)

2) Au Kestrel Haven Wildlife Sanctuary, une réserve naturelle privée de 60 acres dans Burdett, état de New-York. Les propriétaires font, depuis 2005, la cueillette journalière d'exuvies dans leur "study pond", un petit étang artificiel de 35x40m creusé en 2000. Les nombres d'exuvies qu'ils y ont obtenus donnent le tournis; par exemple: jusqu'à 10 944 exuvies annuellement pour la Célithème indienne (Celithemis elisa), leur espèce dominante dans l'étang. Les nombres varient grandement d'une année à l'autre (Sue and John Gregoire, 2010. Monitoring Celithemis elisa (Calico pennant) emergence, the sixth season. Argia 22(4) p.21) (disponible en ligne).

La même équipe a dénombré plus de 75 000 exuvies de Lestes unguiculatus dans un petit étang temporaire de 15x30 m en 2006. En 2007, ils n'en ont trouvé aucune dans cet étang, ni dans aucun autre des environs (source: Sue and John Gregoire, 2006 (pdf)).

Alors, est-ce que c'est beaucoup?


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Les émergences de libellules sont donc nombreuses. Pourtant, plusieurs personnes m'ont dit qu'elles n'en avaient jamais vues. Pourquoi?

  • Les larves de libellules ont toutes des couleurs grisâtres, brunâtres ou verdâtres qui se confondent avec l'environnement où elles vivent.
  • Les libellules sont totalement vulnérables lors de l'émergence. Elles ont donc intérêt à se faire rapides et discrètes.
  • La plupart des libellules émergent en masse, c'est à dire que presque toute la population s'envole en dedans de 2 jours.  Cette stratégie leur permet de limiter la prédation par les oiseaux.
  • Plusieurs espèces de libellules sortent de l'eau un peu avant l'aube, de manière à prendre leur envol avec les premiers rayons du jour. Cette stratégie aussi leur permet de limiter la prédation par les oiseaux.
  • Une fois la libellule envolée, l'exuvie reste fixée au support d'émergence (roche, plante, arbre, sable, quai, etc), mais elle est fragile comme du papier de soie. L'action du vent, des vagues et de la pluie la fera disparaître plus ou moins rapidement.

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QUIZZ: Voyez-vous les exuvies?

1 Gomphus sp.

1 Gomphus sp., 1 Epithèque princière (Epitheca princeps)

Je vois 3 exuvies (2 Gomphes épineux (Dromogomphus spinosus) et 1 Gomphe marqué (Stylurus notatus)).
Indice: les exuvies ont été décrochées de leur support par les intempéries. 

1 Hagénie (Hagenius brevistylus)

4 Gomphes marqués (Stylurus notatus)

1 Anax précoce (Anax junius)


1 Aeschne constrictor (Aeshna constricta)
2 Périthème délicates (Perithemis tenera)


Une exuvie…de cigale! Eh non, y'a pas que les libellules dans la vie.
Celle-ci juste à côté du centre aquatique Paul-Pelletier à Aylmer.



Merci Henri, c'était une bonne question.



mercredi 29 janvier 2014

Annonce

Je n'aime pas trop la pub, mais celle-ci est une exception pour un camp qui tient une place spéciale dans mon coeur:

La période d'inscription est ouverte pour le camp l'ERE de l'estuaire (Port-au-Saumon, Charlevoix). Les camps 2014 se feront en collaboration avec les Cercles des jeunes naturalistes (CJN).

Un site magnifique et une longue tradition. Plusieurs générations de naturalistes y ont fait leurs débuts. C'est là que j'ai connu Raymond et les libellules…il y a de cela 25 ans!






dimanche 26 janvier 2014

Partie 4: exuvies

Un volet particulièrement intéressant du projet d'inventaire des libellules de Gatineau est, selon moi, celui de la collecte d'exuvies.

Que sont les exuvies? Ce sont les exosquelettes vides que les larves laissent derrière elles lors de leur transformation en libellules adultes. Des vieilles peaux, quoi! Les exuvies ont une apparence identique à celle des larves et s'identifient à l'aide des mêmes ouvrages de référence.

La collecte d'exuvies offre plusieurs avantages au niveau d'un projet d'inventaire:


#1 
Il y a certaines libellules de notre inventaire que nous n'avons jamais vues au stade d'adulte mature en raison de leurs habitudes de vie très discrètes; n'eut été de la présence d'exuvies, nous n'aurions pas su qu'elles se trouvaient sur le territoire


Un exemple: l'Épithèque de Provencher (Neurocordulia yamaskanensis) est une libellule crépusculaire. Elle vole entre chiens et loups. Je n'ai pas capturé d'adultes, mais j'ai trouvé  quantité d'exuvies, suggérant qu'il y a une bonne population de cette espèce dans certaines portions de la rivière des Outaouais.

Le beau sourire de l'Épithèque de Provancher (Neurocordulia yamaskanensis). Sur le dos de  l'exuvie, on voit la déchirure par laquelle la libellule adulte est sortie.

Autre exemple: le Gomphe marqué (Stylurus notatus) est une libellule dont je n'ai jamais vu d'adulte mature et qui est considérée rare dans le district Ottawa-Gatineau. Or, c'est l'espèce dont j'ai trouvé le plus grand nombre d'exuvies cet été! Il semble y avoir une énorme population de Gomphes marqués à Gatineau, mais comme ils chassent au large et passent le reste de leur temps au sommet des arbres, on les voit rarement.



Gros plan sur une exuvie de Gomphe marqué (Stylurus notatus). Noter la forme allongée et la couleur pâle.

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#2 
La découverte d'une exuvie est le seul moyen qui permet de démontrer hors de tout doute qu'une libellule s'est reproduit avec succès dans un habitat donné. C'est ainsi le meilleur moyen pour documenter l'habitat d'une espèce.

Une bonne connaissance de l'habitat de reproduction est essentielle pour protéger les espèces à statut précaire.


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#3 
La collecte systématique d'exuvies permet de dénombrer les populations de libellules.

Par collecte systématique, j'entends une visite par jour sur une section de berge bien définie, ce tout au long de la saison. Ce type d'étude demande un gros effort d'échantillonnage, mais le jeu en vaut la chandelle lorsque l'on souhaite vérifier des hypothèses avec une approche statistique.

La collecte d'exuvies que j'ai réalisée cet été n'était pas assez systématique pour que je puisse effectuer de dénombrement de populations.


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#4 
La collecte systématique d'exuvies permet de documenter la période d'émergence avec précision.

Chez-nous, c'est surtout en juillet que les libellules émergent. 

La plus précoce en 2013: l'Épithèque canine (Epitheca canis)- première exuvie trouvée le 6 mai 2013

La plus tardive en 2013: L'Anax précoce (Anax junius)- la plupart des exuvies ramassées en août, la dernière trouvée le 1er octobre 2013.

La date d'émergence est un indicateur particulièrement utile à ceux qui étudient les changements climatiques. Pour ce, on doit évidemment avoir accès à des données échelonnées sur plusieurs années.



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#5
Enfin, avantage de taille, les exuvies ne sont pas vivantes. Cette évidence implique qu'elles se laissent ramasser sans bouger, et ce beau temps, mauvais temps. Nul effort requis pour les mettre à mort ni pour les conserver, un simple pot de plastique suffit, pour autant qu'on n'oublie pas d'y inscrire le lieu de collecte et la date. Voilà! Idéal pour les entomologistes paresseux et de fibre sensible (moi tout craché!).


De retour d'excursion, tri et dénombrement d'exuvies.


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#6
En prime, lorsque l'on cherche des exuvies, on tombe parfois sur l'émouvant spectacle d'une libellule en train d'émerger:

Gomphe épineux (Dromogomphus spinosus) en début d'émergence.  En dedans d'une demi-heure il aura déployé ses ailes et se sera envolé.  L'exuvie, de couleur terne, demeurera accrochée au substrat, dans ce cas-ci une roche, jusqu'à ce que les intempéries- ou l'entomologiste- ne l'en décrochent. 

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Résultats de collecte d'exuvies (parcelle 1)

Comme je l'écrivais plus haut, la collecte que j'ai faite en 2013 n'était pas assez systématique pour me permettre de faire un dénombrement des populations. Je présente tout de même le résultat de ma cueillette annuelle pour la parcelle 1 (voir la carte), la seule que j'ai visité  très régulièrement.

Je me suis promenée au bord de la rivière des Outaouais au moins une fois par semaine. Voilà ce que j'ai ramassé sans faire beaucoup d'efforts:




Les exuvies que j'ai ramassées en plus grand nombre étaient: 


  • le Gomphe marqué (Stylurus notatus)- 367 exuvies, de quoi remplir un pot de 1 litre! 
  • le Gomphe épineux (Dromogomphus spinosus)- 212 exuvies, et 
  • l'Épithèque princière (Epitheca princeps)- 221 exuvies. 


Ce sont 3 espèces de taille robuste dont j'ai trouvé les exuvies sur la plage de galets, sur les digues et  murets de pierre et sur les troncs d'arbres près de la ligne des hautes eaux.



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Pour notre saison d'inventaire 2014, nous allons nous concentrer à rechercher certaines espèces (voir billet précédent). Plusieurs de ces espèces sont difficiles à repérer au stade adulte. Nous allons donc fournir des efforts particuliers au niveau de la collecte d'exuvies, de même qu'à la recherche de larves (aussi appelées nymphes ou naïades). Les larves, c'est le rayon de mes acolytes Raymond Hutchinson et Benoît Ménard.





Ceci termine la série de billets sur l'inventaire préliminaire des libellules de Gatineau (2013). Les prochains billets seront consacrés à la planification des activités de terrain pour la saison 2014.