dimanche 26 janvier 2014

Partie 4: exuvies

Un volet particulièrement intéressant du projet d'inventaire des libellules de Gatineau est, selon moi, celui de la collecte d'exuvies.

Que sont les exuvies? Ce sont les exosquelettes vides que les larves laissent derrière elles lors de leur transformation en libellules adultes. Des vieilles peaux, quoi! Les exuvies ont une apparence identique à celle des larves et s'identifient à l'aide des mêmes ouvrages de référence.

La collecte d'exuvies offre plusieurs avantages au niveau d'un projet d'inventaire:


#1 
Il y a certaines libellules de notre inventaire que nous n'avons jamais vues au stade d'adulte mature en raison de leurs habitudes de vie très discrètes; n'eut été de la présence d'exuvies, nous n'aurions pas su qu'elles se trouvaient sur le territoire


Un exemple: l'Épithèque de Provencher (Neurocordulia yamaskanensis) est une libellule crépusculaire. Elle vole entre chiens et loups. Je n'ai pas capturé d'adultes, mais j'ai trouvé  quantité d'exuvies, suggérant qu'il y a une bonne population de cette espèce dans certaines portions de la rivière des Outaouais.

Le beau sourire de l'Épithèque de Provancher (Neurocordulia yamaskanensis). Sur le dos de  l'exuvie, on voit la déchirure par laquelle la libellule adulte est sortie.

Autre exemple: le Gomphe marqué (Stylurus notatus) est une libellule dont je n'ai jamais vu d'adulte mature et qui est considérée rare dans le district Ottawa-Gatineau. Or, c'est l'espèce dont j'ai trouvé le plus grand nombre d'exuvies cet été! Il semble y avoir une énorme population de Gomphes marqués à Gatineau, mais comme ils chassent au large et passent le reste de leur temps au sommet des arbres, on les voit rarement.



Gros plan sur une exuvie de Gomphe marqué (Stylurus notatus). Noter la forme allongée et la couleur pâle.

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#2 
La découverte d'une exuvie est le seul moyen qui permet de démontrer hors de tout doute qu'une libellule s'est reproduit avec succès dans un habitat donné. C'est ainsi le meilleur moyen pour documenter l'habitat d'une espèce.

Une bonne connaissance de l'habitat de reproduction est essentielle pour protéger les espèces à statut précaire.


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#3 
La collecte systématique d'exuvies permet de dénombrer les populations de libellules.

Par collecte systématique, j'entends une visite par jour sur une section de berge bien définie, ce tout au long de la saison. Ce type d'étude demande un gros effort d'échantillonnage, mais le jeu en vaut la chandelle lorsque l'on souhaite vérifier des hypothèses avec une approche statistique.

La collecte d'exuvies que j'ai réalisée cet été n'était pas assez systématique pour que je puisse effectuer de dénombrement de populations.


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#4 
La collecte systématique d'exuvies permet de documenter la période d'émergence avec précision.

Chez-nous, c'est surtout en juillet que les libellules émergent. 

La plus précoce en 2013: l'Épithèque canine (Epitheca canis)- première exuvie trouvée le 6 mai 2013

La plus tardive en 2013: L'Anax précoce (Anax junius)- la plupart des exuvies ramassées en août, la dernière trouvée le 1er octobre 2013.

La date d'émergence est un indicateur particulièrement utile à ceux qui étudient les changements climatiques. Pour ce, on doit évidemment avoir accès à des données échelonnées sur plusieurs années.



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#5
Enfin, avantage de taille, les exuvies ne sont pas vivantes. Cette évidence implique qu'elles se laissent ramasser sans bouger, et ce beau temps, mauvais temps. Nul effort requis pour les mettre à mort ni pour les conserver, un simple pot de plastique suffit, pour autant qu'on n'oublie pas d'y inscrire le lieu de collecte et la date. Voilà! Idéal pour les entomologistes paresseux et de fibre sensible (moi tout craché!).


De retour d'excursion, tri et dénombrement d'exuvies.


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#6
En prime, lorsque l'on cherche des exuvies, on tombe parfois sur l'émouvant spectacle d'une libellule en train d'émerger:

Gomphe épineux (Dromogomphus spinosus) en début d'émergence.  En dedans d'une demi-heure il aura déployé ses ailes et se sera envolé.  L'exuvie, de couleur terne, demeurera accrochée au substrat, dans ce cas-ci une roche, jusqu'à ce que les intempéries- ou l'entomologiste- ne l'en décrochent. 

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Résultats de collecte d'exuvies (parcelle 1)

Comme je l'écrivais plus haut, la collecte que j'ai faite en 2013 n'était pas assez systématique pour me permettre de faire un dénombrement des populations. Je présente tout de même le résultat de ma cueillette annuelle pour la parcelle 1 (voir la carte), la seule que j'ai visité  très régulièrement.

Je me suis promenée au bord de la rivière des Outaouais au moins une fois par semaine. Voilà ce que j'ai ramassé sans faire beaucoup d'efforts:




Les exuvies que j'ai ramassées en plus grand nombre étaient: 


  • le Gomphe marqué (Stylurus notatus)- 367 exuvies, de quoi remplir un pot de 1 litre! 
  • le Gomphe épineux (Dromogomphus spinosus)- 212 exuvies, et 
  • l'Épithèque princière (Epitheca princeps)- 221 exuvies. 


Ce sont 3 espèces de taille robuste dont j'ai trouvé les exuvies sur la plage de galets, sur les digues et  murets de pierre et sur les troncs d'arbres près de la ligne des hautes eaux.



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Pour notre saison d'inventaire 2014, nous allons nous concentrer à rechercher certaines espèces (voir billet précédent). Plusieurs de ces espèces sont difficiles à repérer au stade adulte. Nous allons donc fournir des efforts particuliers au niveau de la collecte d'exuvies, de même qu'à la recherche de larves (aussi appelées nymphes ou naïades). Les larves, c'est le rayon de mes acolytes Raymond Hutchinson et Benoît Ménard.





Ceci termine la série de billets sur l'inventaire préliminaire des libellules de Gatineau (2013). Les prochains billets seront consacrés à la planification des activités de terrain pour la saison 2014.




2 commentaires:

  1. Très intéressant tous ces développements post-saison.
    Je serai plus attentif aux libellules dorénavant.
    Il y en a beaucoup de ces exuvies abandonnées qui traînent ?
    Jamais vu d'exuvie de ma vie, moi.

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  2. Les exuvies, Henri, c'est comme bien d'autres choses: on les voit juste quand on les cherche. Et quand on se met à les voir, on se demande comment ça se fait qu'avant on ne les voyait pas. À certains moments, dans certains endroits, il peut y en avoir beaucoup (dizaine par m carré, ou même plus). Je me rappelle une journée l'été dernier, le 11 juillet, où les libellules émergeaient en si grand nombre que les jeunes à la marina d'Aylmer les avaient remarquées. Ils pensaient que la plage était pleine de sauterelles mortes! D'autres jours, on n'en trouve pas. Je me rend compte que j'ai beaucoup à raconter là dessus; j'écrirai un billet plus complet. Merci d'avoir posé la question!

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