Raymond Hutchinson (RH) et Benoît Ménard (BM)
Intro.
De nombreux entomologistes et naturalistes, surtout les
débutants, ont une préférence marquée pour les libellules de bonne taille,
surtout les anisoptères. Les petites espèces, notamment dans le sous-ordre des
zygoptères, peuvent ainsi demeurer méconnues. Pourtant, leur vie reste secrète
dans la mesure où peu d'entomologistes s'attardent à repérer les individus en
nature pour ensuite consacrer du temps à la découverte de leurs habitats, leurs
observations et à l'étude de leurs mœurs
qui peuvent se révéler fascinantes.
Bien que la découverte de petites populations d'A saucium ne
soit pas si rare, les repérer dans la nature n'est pas si fréquent. Pilon et
Lagacé (1998) mentionnent tout-de-même un peu plus d'une quarantaine de sites
de captures pour l'ensemble du Québec.
Pour nous, l'intérêt principal de cette espèce de demoiselle,
dont les adultes marient le rouge et le bleu avec élégance, reste les
particularités de leurs différents habitats et micro-habitats où nous avons
trouvé des individus et c'est l'objet du présent article de les détailler
quelque peu. Nous en présentons les
différentes modalités (différents aspects) pour enfin dégager quelques points
communs de tous ces sites. Nous énumérons les lieux d'observations et de
captures en commençant par nos visites les plus récentes jusqu'aux plus
reculées dans le temps.
Nos sites de rencontres
Le 4 juillet 2015, nous étions dans une grande sablière de
formation récente, à environ 4 km de Plaisance, à côté de la rivière
Petite-Nation. Nous avons capturé six adultes, mâles et femelles. Ils
survolaient un long et très étroit filet d'eau, allongé sur le sable, quelque
peu mouvant, une eau au courant à peine perceptible. Curieusement, nous
pouvions enfoncer dans le sable, un peu boueux du ruisselet jusqu'aux genoux.
Nous n'avons pu pêcher une seule naïade d'A. saucium. Aucune autre espèce d'odonate n' a été
observée en ces lieux. Le biotope avait
à peine assez d'eau pour la vie larvaire d'un odonate.
R.H. au ruisselet de la grande sablière au nord de Plaisance (Outaouais, Qc) |
2. Site de Plaisance, tandem mâle-femelle au sol |
2. Le 26 mai 2012, nous
nous trouvions dans un champ ensoleillé, à côté d'une ancienne sablière, à
Quyon, dans l'Outaouais québécois. Le champ jouxtait une sablière, mais formait
un site, distinct de celle-ci. Dans ce biotope, RH a récolté neuf naïades
d'Amphiagrion saucium et BM en a prélevé une quinzaine. Ces naïades de
demoiselles avaient investi un ruisselet d'à peine quelques centimètres de
largeur (1 à 2 pieds), au courant modéré en de nombreux endroits. Le substrat
du ruisselet était un mélange d'argile ou de boue mêlé à du sable avec des
plantes aquatiques immergées ressemblant à des brins d'herbes. L'eau était
plutôt froide, malgré que le ruisselet coulait en plein soleil. Son alimentation par une source souterraine
expliquait sans doute la froideur de l'eau.
Pour récolter des
larves d'Amphiagrion, BM ''écrémait '' un secteur du ruisselet, à fond
boueux-sablonneux et attendait que les naïades émergent en se tortillant de
cette matière terreuse dans le filet aquatique. BM les cueillait avec des
brucelles. Dans ce ruisselet, les organismes suivants furent observés : des
Asellidae (Crustacés), des Amphipodes (Crustacés), de petits dytiques
(Coléoptères) et même une épinoche (poisson). Au final, sur environ 25 naïades
observées, RH en a rapportées neuf. Le ruisselet est une extension de celui qui
coule à peine dans le boisé de la sablière constitué de boue, d'accumulation de
feuilles mortes, où une larvule de Cordulegaster maculata fur pêchée. Voir photos du biotopes et des Amphiagrion
saucium.
3. larve vivante d'Amphiagrion saucium provenant de Quyon, Qc, en captivité |
4. petit ruisseau à Quyon, Qc. |
5. Aperçu de plantes aquatiques du biotope de Quyon |
3. Un séjour de RH à
Maria, chez un ami, Gilbert Bélanger, a permis lors d'une excursion de
découvrir un fossé, à côté d'une voie ferrée, à Maria dans la Baie-des-Chaleurs
(Gaspésie-sud). L'essentiel des données
de cette excursion est publié dans un article antérieur (Hutchinson et
Bélanger, 1996). En bref, nous explorions un fossé presque totalement dépourvu
d'eau. Une certaine humidité était maintenue par l'abondance de plantes
aquatiques quoiqu' asséchées en surface, sur le dessus, mais le dessous des
plantes maintenu mouill dans l'interface, sol mouillé- surface inférieure des
plantes. C'est là que se trouvaient les naïades ou larves d'Amphiagrion saucium
que nous avons observées, quelques unes ayant été cueillies pour fins de
collection. En bref, ces organismes aquatiques vivaient dans un biotope à peu
près dépourvu d'eau, fait à retenir.
4. Au cours des
années 2000 à 2014, comme animateur d'un camp d'initiation à l'écologie à
Port-au-Saumon (Charlevoix-Est), il fut donné à RH de visiter une sablière, à
Sainte-Mathilde (Charlevoix-Est). A trois ou quatre reprises, nous avons
observé de un à quatre individus adultes d'A. saucium qui volaient à ras de sol,
autour et parfois, au-dessus de filets d'eau, probablement d'origine sourceuse,
qui s'épanchaient sur un sol sablonneux.
Certaines années, l'espèce semblait absente, d'autres années, quelques
individus étaient repérés.
5. Au cours des
années 70, RH avait découvert un fossé de bord de route à Port-au-Saumon
(Charlevoix-Est), où quelques individus survolaient discrètement le milieu à
ras de sol, se frayant un chemin de survol parmi quelques quenouilles et
plantes aquatiques. Malheureusement, des
travaux de construction ont modifié le parcours de la route 138, devant
l'entrée du camp Ère de l'estuaire au moyen d'une déviation en détruisant le
biotope des A. saucium. Voir Hutchinson (1991, 1992) pour des détails
additionnelles.
Perspectives
Il est intéressant de comparer nos habitats à ceux de Walker
(1953) et de Paulson (2013). Le premier auteur cité ci-dessus précise que A.
saucium vit dans des tourbières alimentées par des sources et des ''coulées''
de ces eaux sourceuses. Il précise que
ces eaux sont issues de sol forestier et se frayent un chemin à travers le
sable en direction d'un lac. Quant au
deuxième auteur, l'espèce est établie dans des marais à carex, et peut s'observer au-dessus de suintements
provenant de cours d'eau, ou de tourbières acides. Nous croyons très utiles
d'ajouter nos habitats comme connaissances complémentaires permettant la
découverte de populations souvent modestes de cette espèce de zygoptère de
notre odonatofaune.
Parmi les faits à
retenir mentionnons les affinités de cette espèce d'odonates avec les eaux
sourceuses, leur vol souvent bas et discrets, et leur taille modeste, bien que
l'amalgame de rouge et de bleu de leur thorax et de leur abdomen devrait
faciliter leur repérage dans leur milieu de vie.
Littérature entomologique citée
Hutchinson, R. 1991. Précision sur un habitat d'Amphiagrion
saucium Burmeister (sic) (Odonata : Zygoptera Coenagrionidae. Fabreries 16 : 101-104. (9
juillet 1981, voir Liste annotée 1992, idem)
Hutchinson, R. 1992. Liste annotée des odonates de
Charlevoix-Est, Québec. Fabreries 17 : 97-124. (9 juillet 1981, Port-au-Saumon,
herbes humides à côté d'un fossé de bord de route).
Hutchinson, R. & G. Bélanger. 1996. Découverte d'Amphiagrion saucium Burmeister (sic) (Odonata: Zygoptera) dans le
comté de Bonaventure en Gaspésie, Québec. Fabreries 21 : 25.
Ménard, B. 1996. Liste annotée des odonates de l'Outaouais.
Fabreries 21 : 29-61.
Paulson, D.
2013. Dragonflies and Damselflies of the East.
Princeton Field Guides. Princeton
University Press. 538 pages.
Pilon, J.G. & D. Lagacé. 1998. Les odonates du Québec. Traité faunistique.
Entomofaune du Québec (EQ) Inc. Chicoutimi Québec. 367 pages. (Au moins 40 localités et plus).
Walker,
E.M. 1953. The Odonata
of Canada and Alaska. Volume 1. The
Zygoptera. University of Toronto Press, Toronto. 292 pages.
Photos de Plaisance - le milieu et les Amphiagrion
Photos de Quyon - le milieu et les Amphiagrion
Raymond Hutchinson et Benoît Ménard
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