dimanche 3 novembre 2013

Libellules et pollution

Dans mon billet du 15 octobre, je faisais le bilan des libellules du ruisseau de la Brasserie. Depuis ce temps, l'organisme environnemental Sentinelle Outaouais a dévoilé les résultats de ses tests de qualité de l'eau. Le nombre très élevé de coliformes fécaux dans l'eau, résultat de déversement d'égouts domestiques non traités dans le ruisseau, a attiré l'attention des médias:

"Le ruisseau de la Brasserie, une source élevée de bactéries" Radio-Canada, le 20 octobre 2013

"Le ruisseau de la Brasserie: autopsie d'un malade" Le Droit, 26 octobre 2013

Mais comment se fait-il qu'on ait observé une telle richesse de libellules dans un cours d'eau aussi dégradé??!

Toutes les larves de libellules et demoiselles sont aquatiques. On considère en général que leur tolérance à la pollution est moyenne (Moisan, 2010). Question de nuancer un peu, je lis que Michel Savard, dans l'Atlas préliminaire des libellules du Québec (2011), estime que le quart des espèces de libellules du Québec peuvent provisoirement être classées comme rares. La grande majorité de ces espèces viendrait de milieux d'eau courante ou de tourbières, des habitats particuliers et sensibles à la dégradation. Soyons clairs: aucune de ces espèces n'a été trouvée au ruisseau de la Brasserie.

À l'autre extrémité du spectre, certaines espèces ont été trouvées très tolérantes à la pollution. Ce sont des espèces polyvalentes et assez "flexibles" en terme d'habitat. Paulson (2011) identifie 4 espèces particulièrement tolérantes aux milieux urbains dégradés; je les ai toutes rencontrées à Gatineau:

Agrion orangé (Enallagma signatum), marina d'Aylmer, le 21 juillet 2013 

Agrion orangé (Enallagma signatum), rivière des Outaouais (Deschênes) le 30 juillet 2013

Agrion exilé (Enallagma exsulans), ruisseau/fossé dans Deschênes, le 1er août 2012

Agrion posé (Ischnura posita), décharge du Lac Leamy, le 29 août 2013

La lydienne (Plathemis lydia), ici une femelle, Deschênes, le 9 septembre 2013

Le fait que l'on puisse trouver un grand nombre de libellules, à la fois en terme de quantité que de diversité d'espèces, dans un endroit aussi pollué que le ruisseau de la Brasserie me semble très positif. Pour moi, ça veut dire que même si un milieu est dégradé et loin d'être idéal, il y a encore de l'espoir! Il s'agit de laisser la végétation s'installer, puis les libellules s'installent et prolifèrent. Devant ce buffet fantastiques, poissons, canards, échassiers et oiseaux de toutes sortes viennent s'installer, etc etc. La nature est tellement résiliante.

Ça n'empêche pas que l'on puisse donner un petit coup de pouce pour accélérer l'assainissement et la naturalisation du ruisseau.

Surtout, ce n'est pas une excuse pour continuer à déverser ses égouts dans les rivières!

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Sources:

Moisan, J., 2010. Guide d’identification des principaux macroinvertébrés benthiques d’eau douce du Québec, 2010 — Surveillance volontaire des cours d’eau peu profonds, Direction du suivi de l’état de l’environnement, ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, ISBN : 978-2-550-58416-2 (version imprimée) 82 p. (incluant 1 ann.)

Paulson, D. 2011. Dragonflies and damselflies of the east. Princeton University Press.538 p.


Savard, M. 2011. Atlas préliminaire des libellules du Québec (Odonata). Initiative pour un atlas des libellules du Québec avec le soutien d'Entomofaune Québec (EQ), Saguenay, Québec, 53 p.

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